Mes mots rient

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Une rencontre printanière

par Dr Awkward

Louis Sullivan Spalding réajusta son cardigan avant d’emprunter le chemin surplombant la plage, pour profiter comme tant d’autres des dernières heures de soleil de cette belle journée de printemps.

Alerté par un hululement surnaturel d’intensité croissante, il leva la tête et aperçut alors lui aussi le vaisseau dont sortaient trois pieds télescopiques à l’approche du sol.

Dans un silence inhabituel, seulement troublé par le chuintement pneumatique de la porte, émergèrent trois êtres manifestement étrangers à cette planète. La foule se figea.

Se reprenant le premier, Louis Sullivan Spalding s’approcha d’eux et, accompagnant ses paroles de grands gestes, s’adressa à eux d’une voix forte et bien articulée :
« Bonsoir chers voisins, j’imagine que vous cherchez un endroit où déguster les spécialités locales. Le plus typique sera de descendre au caffé d’Antonia, sur le vieux port. Conseil d’ami : prenez la minestrone de légumes et le rôti de pois chiches au thym, que vous accompagnerez d’un côte-du-Rhône 2014. La tarte aux figues quant à elle se déguste très volontiers avec leur vin de pêche maison. À cette heure vous devriez facilement trouver une table pour trois. »

Les êtres fraîchement atterris semblèrent tenir conciliabule un instant, puis suivirent la direction indiquée ; se raidissant, Louis Sullivan porta la main à son chapeau et s’éloigna dans la direction initiale de sa promenade, heureux d’avoir pu aider de nouveaux arrivants à éviter les attrape-touristes, et de donner un modeste coup de pouce aux affaires de l’accorte Antonia qui le régalait chaque samedi soir de vacances depuis tant d’années.

Ce soir là

par aucoindesmots

Ce soir là

Déjà dix minutes que nous marchons l’un à coté de l’autre. Je comble les vides formés par le silence. J’espère ainsi que cela me donnera la motivation pour combler le vide qui sépare ma main de la sienne. Je vois les mètres défiler, la porte de chez elle se rapprocher. Il est plus facile de faire un pas en avant que de faire un pas sur le coté. Déjà quelques semaines que le trouble devient perceptible. Plusieurs soirs que je la raccompagne chez elle et que je ne trouve pas la force.

Quand on ne sait pas, chaque centimètre qui nous sépare de l’être désiré est un câble au dessus d’un gouffre. Vais je tomber ou garder l’équilibre ? Quelques attentions, quelques réactions ont donné un peu de poids à mon balancier. Il m’était cependant incapable d’y trouver de l’assurance. En faisant un pas de coté, allais je trouver du vide où un pont stable ?

C’est la dernière ligne droite avant d’arriver chez elle, ce territoire connu qui a déjà vu plusieurs heures d’échange dans le froid de l’hiver. Plusieurs heures à préférer discuter en sautillant sur nos pieds plutôt que de nous quitter. J’aurai eu plus confiance, j’aurai pris ça pour une preuve d’intérêt, pour un début de quelque chose.

Ce soir, il faut que je me lance. J’ai toujours préféré être sûr de m’écraser plutôt que de ne jamais savoir si le parachute allait se déployer. L’incertitude d’être passé à coté d’un bonheur est pire que la certitude de ne pas le vivre.

Au pas suivant, je lui prendrais la main. Dans 3 portes, je vais la prendre par la taille. Je me maudis d’en être incapable, que ma main soit si lourde à bouger, peut être si lourde de conséquence dans ma tête.

Nous arrivons au dernier virage. Après, la circulation m’empêchera physiquement de me rapprocher, ou alors sur un lit d’hôpital. Il faut que j’ose. Il me faut pouvoir enlever le P qui est depuis trop longtemps devant le mot heureux.

Mon épaule force mon bras qui lui même force ma main qui par obligation, entraîne mes doigts vers sa hanche. J’essaie de faire croire à une main assurée, à une main qui sait ce qu’elle fait. La vérité est toute autre évidement.

Des secondes, des heures à guetter un mouvement, un sursaut, la première réaction, le premier réflexe qui dit tout. Son corps ne peut mentir à ce moment précis. Si elle s’écarte ne serait ce que d’un centimètre de moi, si elle avance un peu plus vite, je serai fixé.

Elle continue comme si de rien n’était. A peine troublée par mon audace. Il ne faut rien montrer, il faut faire genre « c’est cool, tout est normal ». Les femmes aiment cette assurance masculine alors que celle ci n’est souvent qu’une façade. Le timide n’a que très rarement la côte alors qu’il est souvent le plus tendre, le plus attentif une fois en confiance.

A ce moment précis, je passe d’un assurance feinte à une assurance réelle. Elle ne m’a pas rejeté, elle n’a même pas frémi. C’est que tout se passe bien. Je vais pouvoir l’embrasser. Ce sera en bas de chez elle avant de lui souhaiter une belle nuit. Ensuite je repartirai dans le froid extérieur mais bouillonnant de l’intérieur.

Voici sa porte. Ce soir nous ne resterons pas discuter. Il me faut juste concrétiser cet acte de bravoure, cette audace dont j’ai fait preuve au mépris de mille et un dangers imaginaires. C’est le moment.

Rempli de ce courage qu’offre un territoire conquis, j’ose. Ses yeux timides sont baissés. Elle sait évidement ce qui va se passer mais elle fait mine de ne pas en être consciente. Ma main sur son menton l’oblige à plonger ses yeux dans les miens. Je me veux rassurant. Je ferme les miens et m’avance.

Ce soir là, je l’ai embrassé.

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