Charlot mystique

par Ka

Une fois,

Parmi toutes les fois

Où ça arrive,

J’ai croisé

Sous un toit,

Un toi,

Il était tard,

De ceux qu’on reconnaît

Même dans le noir.

Il avait la bouche pleine de mots,

De jolis mots et de plaisir

Ces lèvres un peu tremblaient

Ces yeux souvent semblaient

D’ailleurs,

Chercher l’ailleurs.

Il était ici et là

A la fois.

Comme un arbre,

Haut,

Il se tenait debout.

A moitié fier

Et presque beau.

Un homme tronc

A la voix d’enfant

Dont les bras avaient poussé trop vite

Et puis les jambes aussi.

Trop vite, trop longs,

De sa tête assez loin

Pour n’en faire qu’à la leur.

Un peu comme un cyprès

Ou alors un bouleau,

Même si ce qu’il aimait

Et par dessus les mots

C’était

Goûter la nuit.

Croquer

Dans ses carnets

Toutes les dents qui la fuient.

Imiter la fumée

Dans les rues désertées.

Et rire peu

Sous la peau

Comme un joyeux complot.

Il posait ses coudes dans les bars

Racontait des histoires

Aux grands et aux p’tits cons,

Aux comptoirs.

Content

Dans les cafés

Qui n’ont

A leurs murs accroché

Que l’odeur du passé.

Buvait un verre, puis deux

Et puis d’autres encore.

Il laissait là

Poser son corps.

Il restait las

Jusqu’à l’aurore

Fuyant le repos

Aux yeux clos

A grands coups de fleurs de pavot

Et les matins

Dans les journaux.

Et je voyais,

Sous ses cils alités

Qui au jour

finissaient par céder,

Toujours,

Aux pavots ailés

De Morphée

Je voyais

Le sommeil en apnée

Les pieds nus sur le pavé.

L’herbe mauvaise au bout des doigts.

Les corps

Aux peaux desquels il s’était accroché.

Les poings borgnes à demi fermés.

Le sac pendule

A ses épaules

Plein de solitude qui miaule,

Et sa silhouette en papier

Tendue toute entière contre terre

Et le soleil sous les paupières.