Je ne pense pas donc je suis

par Ka

Ecoute.

Les villes racontent des histoires. Les déserts révèlent des secrets. Il est facile de disparaitre, téméraire de se dissoudre. Abattre les frontières de chair. S’ébranler aux aspérités du voyage. Ne pas s’accrocher aux images mais choisir d’être là, chaque seconde, Une tranche de vie après l’autre, encore et encore. De cette façon seulement le monde chante. Sinon, il me glisse entre les doigts et je suis comme une bête sauvage retrouvant sa liberté après des années de sombre esclavage : incapable de bouger, à genoux, aveuglée dans un bain de lumière.

Les villes sont pleines de fantômes. Les yeux de l’âme voient les temps anciens vivre encore ici, en suspension. Des hommes et des femmes avec des peurs, avec des doutes, des joies et des amours comme les nôtres glissent au-dessus du sol des rues. De temps à autre, quand ma peau est assez perméable, je ressens une présence. Elle me touche presque. Instantanément, je suis aspirée, comme si la gravité autour de moi disparaissait et laissait seulement  la perception de profonds souffles d’humanité. Des jumeaux de pierre, des ombres troublantes mais familières nous accompagnent, nous façonnent tout entier.  Je laisse ma tête tomber en arrière. Mes réflexions se confondent avec les nuages. Les couleurs et les sons deviennent liquides, hypnotiques. Le ciel m’engloutit, juste à temps pour apercevoir une hirondelle transpercer les temps, trace passagère d’un perpétuel printemps.

Les déserts contiennent les débuts et les fins. Dans l’épaisse obscurité de la nuit, le Sirocco souffle et dessine des volutes de sable, s’enroulant sous la lumière fragile de l’énorme lune rouge. Si les Dieux ont foulé la terre ferme, les déserts racontent que c’était à ce moment exact où le souffle du vent scelle l’alliance entre les cieux et la poussière. Juste avant l’aube, juste avant que le sable ne se dépose et n’absorbe toute empreinte divine.

Dans ces immensités inhumaines, l’espoir est comme un souverain paresseux, aussi inutile que gonflé de pouvoir. L’existence se résume à sa violence originelle. Seul le présent compte. L’humanité est instinct, le désir, pulsion de survie. Les cloches ne sonnent plus ni les jours ni les morts. Dans ces étendues de néant, le futur n’est même pas un mot et l’histoire s’estompe. Je ne suis ni plus ni moins qu’un fragment, qu’un éclat de cette intensité.